Aujourd'hui, ce n'est pas encore le jour des mille jours. C'est le jour des morts, dit-on officiellement. La nuit du 1er au 2 novembre. Je suis peut-être la seule, mais j'aime bien le mois de novembre. S'ajoute à ma sympathie initiale celle de savoir que c'est peut-être le moment propice pour que tu viennes passer du temps auprès de nous. Je ne sais pas s'il y a des convois spéciaux depuis la mort, pour faciliter les "Terre tours", mais te connaissant, tu dois bien savoir te passer de ce genre d'offre promotionnelle et venir quand bon te chante, ou quand je te chante, si seulement mes chants avaient pu te retenir... Je viens de reprendre ton téléphone en main, cet appareil qui s'est arrêté le 20 septembre, tout comme ta montre, qui, ce même jour, à midi, t'alerte que ton pouls est à un niveau affolant.

Comment contourner l'absurde? Comment trouver le sens? J'ai relu mes notes hier, d'un moment inspiré, où je t'avais senti si présent, deux semaines après ton départ. Tu me disais que ton corps, la douleur te coupaient de l'essence de la vie, et que, paradoxalement, tu serais plus dans la vie en la quittant. Et que tu étais là. Nous étions en charge de porter la vie depuis ici, la matière, l'endroit où se tissent les corps, où ils naissent et se créent. Tu y étais toi aussi, avec ta fougue mozartienne, mais à un tout autre endroit. A l'endroit qui inspire, qui rigole et donne envie d'être en vie. Car ça tu sais y faire. Ton corps à beau être au cimetière, tu t'en donnes à cœur joie pour "jeter des confettis" comme dirait Fida. A faire traverser des arcs-en ciels sur toute la largeur du ciel. Si ça ça n'émerveille pas. Si ça ça ne rend pas vivant.

Ton dosage. Je parlais de ton "dosage" à Fida et Sylvie. "vous voyez, quelqu'un d'à la fois pur, je ne vois pas quel autre mot employer. Mais j'aimais tellement ça de lui. Pur, et tellement drôle, plein de fantaisie, mais brut de décoffrage tout en étant sensible, malicieux et d'une force incommensurable. Et bien, ce dosage est assez rare. Enfin je ne l'ai jamais vu ailleurs, chez personne d'autre. Et il me plaisait bien"

Ton "enduit". Ca ne faisait pas longtemps qu'on était ensemble, qu'on se voyait, qu'on échangeait. J'adorais parler avec toi. Mais j'adorais aussi ton enduit. J'avais l'impression que ta peau était recouverte d'une substance qui me la rendait addictive. Ton enduit. Ca m'invitait, quand je posais la main n'importe où sur toi, à me donner envie d'aller lui faire explorer partout. Parce que ça faisait comme un aimant. Et caresser une peau aimée, aimantée même, ça reste.. 

Pilou, je vais aller dormir. Je n'en peux plus d'habiter tous ces espaces sans trouver le sommeil. la veille m'est un peu pénible, tu n'y es pas toujours. Mais à force d'arpenter les lieux en moi que tu peux investir, mon corps fatigue et surtout, ma qualité de présence auprès d'Abi se dégrade. Donc pas question. Tout ceci n'a ni queue ni tête. Mais ta disparition aussi brusque non plus je te signale. Donc un peu de clémence s'il te plaît. Ne m'en tiens pas rigueur.