J'ai l'autre jour gardé Django. "Non, ne lèche pas les sièges du métro". Voilà comment ça a commencé.

Mon ami, du haut de ses trois ans, m'a prouvé que, parmi toutes les qualités qu'il développe à une vitesse fulgurante - il en est une : sa créativité - qu'il me serait possible de regretter.

Avant-hier donc, contrairement aux autres fois où il était vraiment trop petit pour que je le quitte d'une semelle, j'ai considéré (le fait qu'il parle très distinctement ayant contribué à ma décision) qu'il commençait à être digne d'une sorte de confiance, et que si nous établissions un dialogue, une discussion sur toute chose, je pouvais m'éloigner de l'attitude "adulte qui ressemble à un caporal insupportable te donnant plein d'ordres" et que nous pouvions passer à l'étape "tu peux exprimer tes envies et tes besoins et les soumettre à la discussion".

"Toilettes" m'a-t-il dit, et "Tout seul". Très bien.

Nous nous sommes dirigés vers les toilettes et je lui ai proposé de "garder le contact" le temps de cette opération, et que je n'intervienne qu'en fin de parcours pour m'assurer de la propreté de son postérieur.

Si je n'ai à aucun moment remis en question son droit à rester seul aux toilettes, c'est que moi-même, à un âge très tendre, j'éprouvais une terreur sans nom à l'idée non seulement de montrer mes fesses, mais également toute opération fécale à quiconque qui ne fut ma mère. Je compatissais donc et préférais respecter son intimité. 

Je restai derrière la porte, un petit magazine en main, attendant patiemment son appel au secours pour terminer l'opération fécale. Les minutes passaient, et l'appel ne venait pas. J'attendais. Puis je m'aventurai à lui demander:  "tout va bien?", enjoué, il me répondit: "oui!". "Tu attends le caca?" demandais-je, le moins intrusivement possible? "oui".

De peur que le "oui" ne fut automatique, je m'aventurais à tester: "tu veux que je vienne t'aider?" "non".

OK.

Après 15 minutes, il sortit. Rhabillé, après avoir, semblait-il géré sans le moindre problème tous les stades de l'opération.

Nous repartîmes à la conquête d'un nouveau pré pour ses chevaux imaginaires, et laissions les toilettes s'évanouir dans nos souvenirs.

Et puis ce fut mon tour. Je fus prise d'une envie naturelle, moi aussi. J'ouvris le couvercle de la cuvette et là... Elle débordait, enfin elle était sur le point de vomir, d'éructer comme un volcan... Je demandai à Django: "mais tu as rempli les toilettes de papier après avoir fait caca?". Sa réponse me désarma: "C'est pour donner à manger aux canards". Bien: il y avait une dizaine de rouleaux de papier en train de macérer dans l'eau des toilettes avec, pour agrémenter le tout, un liant d'excréments. J'étais en train d'hésiter entre hurler de colère, de rire, de désespoir, ou rester calme.

"Ce n'est pas grave, mais c'est très embêtant". (oui parce qu'à ce moment, je gardais le sens des proportions: il pourrait s'être cassé une dent, il y a des génocides dans le monde entier en ce moment même...). Juste après avoir prononcé ces quelques mots, je perçus dans ses yeux un soulagement profond: il était conscient du fait qu'il venait d'échapper aux remontrances les plus extrêmes de l'histoire de sa courte vie. 

J'avais opté pour le "rester calme" car en un éclair, outre le spectre infini des catastrophes évitées, je me souvenais de ma propension à conseiller aux gens d'être créatifs. Il fallait être un exemple: je ne peux pas me contenter de réagir de manière stéréotypée en déversant ma frustration sur ce petit. Non, je dois -et le défi est de taille- être plus créative que ne l'a été Django au moment de boucher les toilettes avec du papier pour nourrir des canards.


Je trouvais un sac en plastique dans la cuisine. M'inspirant des magazines hippiques de Django que je venais de feuilleter et où était décrite -photos à l'appui - la saillie d'une jument, je me servais du plastique comme d'un gant géant pour aller piocher les algues domestiques dans cette embouchure de fosse sceptique.

Django exultait. Il sautait, riait et faisait une sorte de danse tribale ou triomphale, ou les deux à la fois. Je me mettais à sa place et ressentais cette même exaltation (celle de voir la baby-sitter plonger sa main dans les toilettes, une moue de dégout à la figure et piochant... la récolte d'une journée d'aliments passés dans mon tube digestif...) mais je gardais un air grave et sérieux pour que, quand même, cet enfant ait quelques repères après cette grave mésaventure: "C'est très désagréable Django, tu ne dois plus jamais faire ça." (Le spectacle était au contraire tout à fait désopilant et hilarant, évidemment, mais je me disais... non, reste sérieuse, tu dois servir de référent!)

Je vidais un seau entier de papier mouillé et enduit d'excréments.  Django venait de passer un très bon moment.

Je sentais vaguement que ma conduite valait certainement pour ma cohérence personnelle, mais qu'elle manquait de pertinence pour montrer à Django les limites (ou quelque chose du genre...) et lui permettre de prendre le chemin d'un comportement social à peu près normal.

Je me suis demandée s'il y avait, pour élever un enfant une sorte de guide pratique, quelque chose auquel on eut pu se référer en moment de crise. [l'acception "crise" devant être entendue largement et non au sens strict comme j'ai tendance à le faire, ne considérant comme critique rien qui n'ait pas au moins la gravité d'un dommage corporel du 10ème degré ou d'un génocide...]

Voilà une légère inquiétude qui m'est apparue grâce à Django à l'heure où nous songeons très sérieusement à devenir parents...