Le frustré de la thèse
Vous pensiez que vous pensiez ? Que nenni ! Détrompez-vous. Ne confondez pas votre capacité à relier un phonème à une chose, voire à plusieurs, avec l’activité de « penser ».  En effet, vous n'êtes qu'au stade pré-embryonnaire qu’ont traversé, dans leur préhistoire, tous ceux qui pensent, (i.e. ceux qui ont fait une thèse) et en toutes circonstances, le frustré de la thèse est là pour vous le rappeler. 

Lorsqu'il se rend à un dîner en ville, le frustré de la thèse va, dès son arrivée, faire le recensement des présents (ceux qui ont une thèse) et des absents (ceux qui n'en ont pas) groupe dont, paradoxalement, il fait souvent partie.

Vous avez une thèse? Bravo! Vous existez.
Votre profil et votre silhouette, qui jusqu’alors se fondaient avec le papier-peint se détachent soudain de l'arrière-plan. Vous devenez visible. Autre surprise : vous devenez audible. Tout à coup, le frustré de la thèse répond à ce que vous étiez en train de dire.

Vous n'avez pas de thèse? Tout n'est pas perdu. On a déjà connu des cas de rédemption. Une des méthodes ayant fait ses preuves: soyez en cours de rédaction de thèse, ou même, en cours d'élaboration de projet de thèse, ou en recherche de financements pour entreprendre votre thèse. Mais assurez-vous de rendre tangible l'existence de cette dernière, afin de pouvoir être considéré comme un vertébré non végétatif (i.e. doué de pensée) par le frustré de la thèse. 

Vous avez abandonné votre thèse en cours de rédaction? Transformez cet écueil en atout. Accusez votre directeur de thèse d'en être le responsable, plaignez-vous de lui par tous les moyens. Faites état de sa rigidité d'esprit, de sa décrépitude et de son absence de qualités humaines. Cela aura la vertu de vous faire passer pour un martyr du système universitaire, un iconoclaste, un rénovateur incompris de la discipline. Quels que soient les inconvénients évidents d'une telle pratique, cela vous permettra de faire savoir à tous qu'un jour, vous écriviez cette thèse. 

Vous avez une thèse en informatique? Aïe. La thèse en informatique laisse perplexe. Il n’y a pas grand-chose à en dire. Vous pensez certes, mais ne vous avisez pas de le prouver ! Elle fait exister, mais à l’état de latence. On ne peut pas vous exclure. Vous avez une thèse en informatique. Mais on ne peut pas non plus vous inclure : vous avez une thèse en informatique. La thèse en informatique sème une sorte de trouble. Faut-il l’avouer, elle bouscule les esprits. Comment interagir avec le docteur en informatique ? le versant positif de ce phénomène étant qu’elle induit une certaine forme de curiosité, d’écoute et même de concentration (qualités que le frustré de la thèse usera avec parcimonie, et même pas du tout si son interlocuteur n'est pas Docteur)  Que va-t-il dire ? Comment le dira –t-il ? Le détenteur d’une thèse en informatique peut parler. On verra si on lui répond. 

Quelle que soit votre état de thèsitude, voici quelques pistes pour aborder, avec subtilité, le sujet le plus captivant qui puisse être: votre thèse.

Abordez le thème de la taille de la thèse. Des circonstances objectives la feront varier : la discipline. La présence (ou non) d’entretiens retranscrits. De documents d’archives. De planches illustratives. Tous ces paramètres sont à prendre en compte pour déterminer la longueur de votre thèse. Car il est impératif que votre thèse ait une longueur. Longue ou courte, celle-ci vous permettra d’aborder la problématique de la longueur (de votre thèse). L’important étant que vous puissiez en parler, cette fois-ci, le plus longuement possible.  
 
On pourrait mentionner dans cette catégorie la donnée du nombre d’exemplaires que vous avez/ ou planifiez d'imprimer. Mais on lui préfèrera celle du coût d’impression de chaque exemplaire (en effet, les variations de prix étant infinies, vous pourrez en discourir à l’infini. N’oubliez pas de multiplier votre discours par le nombre d’exemplaires (de votre thèse). Notez qu'un supplément agrafe, trombone et post-it est toujours le bienvenu.

Vous pouvez aussi interpeller avec désinvolture l'un des convives, et lui lancer de cette façon espiègle: « es-tu dans ma bibliographie ? ». L'effet d'annonce est presque garanti. De plus, vous connaîtrez l'avantage de créer une affinité qui ne se démentira pas et que vous pourrez multiplier. Vous pourrez ainsi élargir et enrichir vos relations sociales, amoureuses, amicales, familiales. Le signe le plus expansif de complicité, d'affection et d'amitié étant: "ah!!! tu es dans ma bibliographie!! ;o)".

Et si vous n'avez rien à voir avec la moindre thèse, ne vous affligez pas. Vous ne pourrez pas interagir dignement avec le frustré de la thèse, certes. Mais il vous restera le reste de l'humanité, avec lequel vous pourrez aborder tous les sujets du monde (à commencer par ceux dignes de la rédaction d'une thèse) sans que le flot de vos pensées (si, si, rassurez-vous, vous en avez) ne soit obstrué par le format, l'UFR, le directeur de thèse pervers et les agrafes indispensables à son traitement.