Virginie et d'autres parents m'ont dit d'en faire une lettre ouverte. Alors pour une fois, je l'ouvre:
Service de la Petite enfance de la Mairie du 12ème arrondissement // Direction de Baobab, Groupe SOS
Madame, Monsieur,
Je vous fais part de ma vive inquiétude pour
la santé et la sécurité du personnel encadrant de la Crèche Baobab,
ainsi que pour la sécurité et le bien-être des enfants qui seront
accueillis au sein de cette structure l'an prochain, si les nouvelles
règles d'accueil suivant le changement d'agrément sont acceptées et
implémentées.
Sauf erreur, les changements prévus impliquent
une baisse sensible du personnel encadrant, et un changement du ratio
du nombre d'enfants par adulte encadrant.
En outre il serait question, quotidiennement,
pour une professionnelle de la petite section, de se retrouver à
encadrer jusqu'à 6 enfants ne sachant pas marcher de 8h du matin à 11
heures du matin. Ce ratio est inédit. Jamais vu. Les assistantes
maternelles, qui ont à leur charge (seules) jusqu'à 4 enfants ont des
enfants d'âges échelonnés, certains, les plus grands, pouvant se
déplacer, et ayant des besoins qui ne les accaparent pas de la même
manière que des bébés.
Les enfants de 6 mois à 1 an et demi, pour
information (puisque cela semble nécessaire) sont d'une dépendance
extrême, ont un besoin vital d'être portés, contenus, rassurés, changés,
déplacés, protégés lors de leurs explorations où les chutes et les
accidents sont vite arrivés. Deux personnes, au minimum, quel que soit
le nombre d'enfants, n'est pas un luxe. Cela devrait être une règle de
sécurité de base, incompressible.
Les accidents qui ont fait pourtant grand
bruit l'an passé (empoisonnement d'un bébé en crèche à Lyon à l'été
2022) n'étaient pas le fait de professionnelles perverses ou maléfiques,
mais bien de la réunion, tout à fait banale, de conditions semblables à
celles envisagées l'an prochain: des professionnelles épuisées,
poussées à bout, isolées, qui commettent un acte qui ne peut être
contenu ou prévenu par des collègues: elles étaient seules. L'isolement,
la fatigue, le manque de reconnaissance et le découragement des adultes
encadrants n'ont jamais été d'excellents "terreaux' pour faire évoluer
des enfants.
Bien évidemment, le pire n'arrive pas
toujours, heureusement. Mais les conditions envisagées préparent
l'érosion drastique de la qualité d'accueil des enfants de la crèche
Baobab. Nous le voyons: le travail auprès des enfants en bas âge, bien
que magnifique, est l'un des plus fatigants qui soient. Nous n'avons
pas sous la main de statistiques, mais nous ne croyons pas que les
personnes de plus de 55 ans soient sur-représentées parmi les personnels
de crèche travaillant effectivement sur le terrain. On ne tient pas 40
ans sur ce genre de poste. Confirmez-vous cela parmi vos effectifs?
La
moindre des choses, pour permettre à ces personnes qui font un travail
si peu valorisé par rapport à l'importance de ce qu'il représente pour
la société est de leur donner des conditions qui leur permette de le
faire du mieux possible:
- en étant suffisantes pour assurer leur propre bien-être par de l'aide et le relais des collègues,
-
par des temps de pause suffisants,
-
du repos et des moments pour se ressourcer à la hauteur de l'intensité que représentent les temps passés auprès des enfants.
C'est
le minimum pour prévenir les burn-out, et une profonde souffrance au
travail (sans parler d'une rémunération ajustée et qui reflète le rôle
crucial de ce métier sur nos enfants et les générations futures).
Or
l'organisation future envisage l'exact inverse. Comment est-ce
possible? Les besoins des enfants auraient-ils changé du jour au
lendemain pour que les règles changent si brusquement? Ne pas donner les
ressources humaines suffisantes aux professionnelles c'est préparer
méthodiquement une fatigue structurelle, un découragement, de
l'absentéisme pour maladie ou souffrance au travail, une perte de
vocation. Quelles sont les propositions? Des remplacements au pied levé?
Par qui? Des inconnu(es) des enfants? Encore une fois, nous sommes très
sceptiques sur la vision de ce changement d'agrément: savez-vous
comment réagit un enfant à un adulte qu'il ne connaît pas?
Accepteriez-vous de confier vos enfants, à l'âge le plus vulnérable qui
soit à des personnes intérimaires dont vous n'avez pu à aucun moment
faire la rencontre? Quelle serait la cohérence d'une équipe qui change
en permanence, le sens d'un "projet pédagogique" dans ces conditions?
Je
suis, je l'avoue, profondément inquiète, car la raison d'un tel
changement m'échappe. (à part l'économie, or il me semble que Baobab,
association loi 1901 ne DOIT PAS avoir ce critère comme un critère pertinent dans l'ADN de son organisation). Pourriez-vous nous expliquer
la logique de ce changement? Son bien-fondé? L'amélioration qu'il
apporte? Ou bien êtes-vous, vous aussi, désarçonné par lui ? Et s'il
intervient, auprès de qui est-il possible d'adresser notre vive
inquiétude?
Je ne suis pas directement concernée par ce changement. Ma fille, Abigaïl, aura terminé son temps à Baobab en juillet prochain.
Néanmoins je suis inquiète pour les enfants qui resteront et qui auront à subir ce choix qui semble aujourd'hui si arbitraire.
J'ai besoin de témoigner de ce qu'a permis Baobab, avec des conditions qui permettaient un encadrement de qualité :
Mon
mari est décédé en Septembre 2023, à 40 ans, au terme d'une longue
maladie. Pendant toute l'année qui a précédé son décès, l'équipe a été
fantastique avec notre enfant, mais aussi avec son papa dont la mobilité
était réduite, en dépassant de loin sa stricte mission: les
professionnelles ont pris soin de notre famille (par une aide physique
mais aussi des échanges humains de qualité)
Notre
état de stress, à mon mari et à moi était indicible. Mais Abigaïl
avait, tous les jours, à Baobab, des référentes d'une qualité
indiscutable. L'équipe de la petite section était disponible, créative,
sécurisante, aimante, profondément humaine. Abigaïl, malgré un contexte
familial catastrophique allait bien, miraculeusement bien, et tant les
professionnelles que la direction ou la psychologue de la crèche ont
joué un rôle crucial dans son bien-être et son développement.
Lorsque
le décès d'Adrien a eu lieu, 2 des professionnelles étaient passées en
grande section et l'ont accompagnée avec une vigilance et un soin
particuliers.
Cette
qualité de suivi, d'attention n'aurait jamais été possible si les pros
avaient été en burn out, et si, comme dans de nombreuses structures, le
turn over avait rendu tout espoir de continuité impossible.
Cela
n'a été possible que parce que ces professionnelles-là avaient une
profonde vocation, un amour de leur travail qu'elles ont pu déployer
depuis de nombreuses années dans une structure où elles se sentent
reconnues et accompagnées par leur direction, et un espace-temps et une
disponibilité physique et émotionnelle qui leur permettait de faire
cela, tout en accompagnant une dizaine d'autres enfants en très bas âge
avec la même qualité d'attention. Imaginer que des remplaçants ou
intérimaires puissent avoir ce degré d'implication et cette qualité de
suivi est impossible.
L'importance
de leur rôle, pour ma famille dans ce cas précis, mais pour toute la
petite enfance doit être considéré, reconnu, valorisé et rémunéré à sa
juste valeur. Reconnaître cela c'est simplement leur permettre de faire
leur travail dans des conditions qui permettent d'atteindre leur
épanouissement. Ne pas le reconnaître, c'est, comme ce que prévoit le
nouvel agrément, les pousser à l'épuisement, et leur signifier qu'elles
ne sont que des chiffres à qui l'on fait correspondre d'autres chiffres
(les enfants), sans prendre en compte la particularité et la pénibilité
de leur métier.
Le
contraire nous amène à un monde où l'on sacrifie les personnes aux
vocations fortes, désintéressées et indispensables pour le bien
commun... pour quelle raison au juste?
Je
vous prie de bien vouloir prendre un temps, long pour réfléchir à tout
cela. De passer du temps sur le terrain en crèche, d'aller envisager,
très concrètement, les conséquences qu'auraient les règles du nouvel
agrément. De vous demander si, en tant que responsable d'une structure,
vous seriez prêt(e) à créer de telles conditions et à saccager un
travail construit de longue haleine, et reposant sur le bien-être de
personnes dont le travail est, encore aujourd'hui, loin d'être reconnu à
sa juste valeur. Seriez-vous prêt(e.s.) sincèrement, à permettre cela,
avec toutes les conséquences que cela implique? Je vous pose la question
très sincèrement, sans ironie ni jugement.
Merci pour votre lecture attentive.